jeudi 9 novembre 2023

Métro Beaubien, neige et craquements de lattes


Je vais le dire comme ça me vient, en espérant que l'énergie chemine, s'enroule comme du lierre dans les phrases, entoure les mots de son aura. Les mots sont plus fluides quand on aime et qu'on se passionne, et j'espère qu'ils rendront justice à ce que je vais écrire.

Cela fera bientôt treize ans que j'ai emménagé à Montréal – l'une des meilleures décisions de ma vie. Mais depuis quelques années, je n'ai plus l'impression de vivre à Montréal ; je vis, point. Je sais bien où j'habite, je peux nommer deux cents raisons qui rendent Montréal agréable... Mais pour moi, c'était / c'est juste vivre. Je me suis fondu au décor montréalais, dirait-on ; je ne suis plus saillant en lui, il n'est plus saillant dans mon regard.

Bon, j'exagère. Montréal n'est pas devenue invisible dans mon quotidien. Certains jours, si, j'oublie. Mais d'autres, je peux m'extasier lors d'une simple marche, comme si je découvrais les rues du quartier. La proportion entre ces deux états, sans doute (distinguer sans doute de sans aucun doute) va évoluer de telle sorte que l'émerveillement se fera un peu plus rare, avec le temps. Autrement amené, à présent, ce n'est plus : « tout beau tout nouveau. »

Aujourd'hui, métro Beaubien. Je ne visite pas souvent le coin, quelques fois par année tout au plus. Chaque fois, ça me met joyeusement à l'envers ; tout mon être tend vers la joie. J'ai vécu sur Christophe-Colomb, à mon arrivée à Montréal, et j'y ai vécu un peu moins de deux ans. C'est toujours une flambée de nostalgie. Tout est si vif soudain, plein de relief. Des émotions du passé, que je ne saurais pas nommer, je parlerais d'une chaleur, d'un sentiment de sécurité négociant avec un autre d'aventure, d'une capacité à rêver sans entrave, qu'en sais-je, c'est un bouillon curieux, délicieux, une saison chimique que je ne parviens pas à nommer, de telles émotions montent, se manifestent. I mean, it's always like that, pis quand je m'en vais, le cœur réchauffé, ayant soupiré de bonheur, tout ça dans la discrétion de mes traits d'introverti, je rentre chez moi, et j'oublie.

Mais aujourd'hui ! L'effet était là-bas plus frappant, pour un moment, je scrutais le haut des immeubles – l'architecture est si particulière dans ce coin-là – coiffé de jolie neige et les images et les émotions – que je refuse de banalement reléguer au passé, à l'évidence, elles ont leur existence propre dans le présent : les racines de l'arbre ont beau être sous terre, l'arbre est au-dessus – les images et les émotions sont venues à moi avec une singulière densité et même temps qu'une légèreté propre au rêve.

Allô, belle ville, moi, c'est Guillaume, je viens d'arriver ici, je viens d'arriver-ici-pour-toujours, c'est-à-dire que je n'en finis plus d'arriver, quel endroit ! je te vois, te vois dans la totalité délirante de ce que tu es et que tu ne serais pas si j'étais ailleurs ; un miracle neuf ; la nouveauté tant attendue dans mon cœur ; j'ai utilisé le mot délirante, car il serait complètement fou que j'oublie à quel point tu m'as charmé, à quel point j'ai succombé. Et tu pourrais adopter un discours, un discours inverse et similaire, de bras ouverts, en insistant sur ton hospitalité envers les poètes.

J'avais pensé revivre au métro Beaubien : il serait étonnant que je le fasse, j'aurais peur que ce socle spécial, sur lequel repose mon expérience urbaine ultérieure, ne se fonde à la brume des quotidiens, jusqu'à étouffer mes sentiments premiers.

De retour chez moi, en regardant la rue depuis ma fenêtre, en sentant ce vieux plancher de bois craquer, en observant cet hiver avant son temps, l'idée et le sentiment ne me quittent plus : je suis Montréalais.

Mieux : je suis nouvellement Montréalais, treize ans, c'est un clignement et demi, et éternel néophyte, c'est d'un regard neuf et neuf encore dont je profite.

2 commentaires:

  1. Splendide hommage ! J'y étais,aujourd'hui, dans cette belle ville,je suis même allé à Verdun! Les lieux portent le passé,le présent et le futur, ils accueilleront les pas de demain.

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  2. Ah, merci ! C'est drôle, j'y suis retourné, quoi, le lendemain, et l'effet était atténué, mais il faut dire que c'était une autre circonstance, un autre décor, une autre température. Comme ça tu étais à Montréal ? Je l'ignorais ! Tu fais souvent des escapades ici, non ? Héhé. Verdun, c'est rendu pas mal beau.

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