mardi 8 mai 2018

Extrait de « Notes nouvelles sur Edgar Poe »

«Genus irritabile vatum! »  Que les poètes (nous servant du mot dans son acception la plus large et comme comprenant tous les artistes) soient une race irritable, cela est bien entendu ; mais le pourquoi ne me semble pas aussi généralement compris. Un artiste n'est un artiste que grâce à son sens exquis du beau, – sens qui lui procure des jouissances enivrantes, mais qui en même temps implique, enferme un sens également exquis de toute difformité et de toute disproportion. Ainsi un tort, une injustice faite à un poète qui est vraiment un poète, l'exaspère à un degré qui apparaît, à un jugement ordinaire, en complète disproportion avec l'injustice commise. Les poètes voient l'injustice, jamais là où elle n'existe pas, mais fort souvent là où des yeux non poétiques n'en voient pas du tout. Ainsi la fameuse irritabilité poétique n'a pas de rapport avec le tempérament, compris dans le sens vulgaire, mais avec une clairvoyance plus qu'ordinaire relative au faux et à l'injuste. Cette clairvoyance n'est pas autre chose qu'un corollaire de la vive perception du vrai, de la justice, de la proportion, en un mot du beau. Mais il y a une chose bien claire, c'est que l'homme qui n'est pas (au jugement du commun) irritabilis, n'est pas poète du tout.

- Charles Baudelaire

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