mercredi 22 août 2012

Le temps de vivre (Boris Vian)

Magnifique poème de Vian que je viens de découvrir :

Le temps de vivre


Il a dévalé la colline
Ses pieds faisaient rouler des pierres
Là-haut entre les quatre murs
La sirène chantait sans joie

Il respirait l’odeur des arbres
Avec son corps comme une forge
La lumière l’accompagnait
Et lui faisait danser son ombre

Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il sautait à travers les herbes
Il a cueilli deux feuilles jaunes
Gorgées de sève et de soleil

Les canons d’acier bleu crachaient
Des courtes flammes de feu sec
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il est arrivé près de l’eau

Il y a plongé son visage
Il riait de joie il a bu
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il s’est relevé pour sauter

Pourvu qu’ils me laissent le temps
Une abeille de cuivre chaud
L’a foudroyé sur l’autre rive
Le sang et l’eau se sont mêlés

Il avait eu le temps de voir
Le temps de boire à ce ruisseau
Le temps de porter à sa bouche
Deux feuilles gorgées de soleil

Le temps de rire aux assassins
Le temps d’atteindre l’autre rive
Le temps de courir vers la femme
Il avait eu le temps de vivre


La fluidité des images et du rythme, c'est si joli, ça me saute au coeur, et ça me met un hoquet pastel au regard. Boris Vian. Un des deux écrivains m'ayant ouvert l'âme. À la vie. À l'écriture. Je le lis beaucoup moins à présent. Une sorte de pudeur m'en empêche. Maintenant que je sais à quel point il est génial, ça me gêne de le lire. Ce serait comme fixer, sans trêve, Jésus du regard sur son petit crucifix. La perfection brûle les yeux, rend mal à l'aise. Cela dit, je croyais m'être amélioré, avec mes poèmes, mes poèmes empennés qui parlent en russe et qui ont de la sève d'aurore aux commissures des yeux, mais non, somme toute, je constate que je suis le même débutant baba lorsque je relis sa vibrante plume. Une abeille de cuivre chaud, putain, c'est magnifique !

Allez, j'ai trop blablaté, relisons ce poème...

2 commentaires:

  1. Quel beau texte! Merci de l'avoir partagé.
    Merci également des charmants messages sous les mots d'un de nos poètes québécois.

    Je glisse ici en douce l'adresse de mon laboratoire d'écriture, sous pseudo, qui ne comprend que très peu de poésie. Je préfère inscrire cette dernière dans la prose, dans l'image, dans la sonorité des termes. Au plaisir!

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  2. Je me ferai un plaisir de découvrir votre blogue. La poésie n'a pas besoin de revêtir de poèmes pour en être. La prose peut être tout autant poétique. Bienvenue ici!

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