lundi 2 juillet 2012

Dolan, un chroniqueur, et les chats qui sont des chats

Je n'avais jamais lu quoi que ce soit d'écrit par Xavier Dolan. Pour tout dire, cet individu m'était fort étranger. Je savais tout simplement qu'il aimait à se pavaner, avec aux coins des lèvres un sentiment de glamour frôlant la fatuité, dans le monde du cinéma. Ceci dit, j'ai été surpris par son éloquence. Et je suis d'accord avec son opinion.

Or, un chroniqueur du Journal de Québec lui a approximativement demandé de fermer sa gueule. Voici le commentaire que je voulais publier ici ; hélas, j'ai pris conscience de la limite de 2000 caractères trop tard.


Monsieur,

Je crois que tenter de pratiquer l'ostracisme par rapport à un artiste, lui refusant le droit au monde de la pensée politique et de la discussion à saveur sociale, est une piètre et subreptice tentative d'invalider ses arguments.

Tout être est pluridimensionnel. Quant à moi, le seul critère à considérer, quand vient le temps d'octroyer le droit de parole, serait : cette personne a-t-elle fait un effort de pensée, avant de s'exprimer ? Non, mieux: ne pas juger a priori, et laisser tout le monde s'exprimer. Ce serait peut-être, qui sait, démocratique.

Au demeurant, il me semble manifeste que Xavier Dolan est un esprit articulé, qui possède de surcroît une plume sachant faire mouche (ce qui me suggère encore davantage que son esprit possède finesse et raison).

Je crois que sa conclusion, qui vous semble être une banale injure, est davantage porteuse de sens que vous ne le croyez. Qu'il y ait eu manque de tact — peut-être est-ce un spontané aveu de détresse —, c'est possible, mais ne vaut-il pas mieux appeler un chat un chat ? Si le chat avait été, plutôt, un félidé, l'aurait-on taxé de jouer sur les mots, ou d'être hypocrite ? Ainsi, si j'accuse quelqu'un de commettre un paralogisme, ce n'est qu'une façon polie et masquée de le traiter d'imbécile.

Je crois aussi en la démocratie. Xavier Dolan, visiblement, quant à lui, ne s'en prend pas à elle. Le fait est que cette institution morale, en fait, est sévèrement, sordidement bafouée. Là, selon moi, est le grave ennui. M. Dolan ne critique pas notre régime politique, ou un parti politique tout bonnement. Il s'en prend à cette foire hystérique qui prétend au titre de modèle social juste. Tristement, si l'on est minimalement objectif, on voit bien qui a mis le feu au chapiteau. Ainsi, Xavier Dolan ne critique pas les gens dans le chapiteau, qui ont choisi de s'asseoir à droite plutôt qu'à gauche, il s'insurge contre les aveugles et les sourds qui ne voient pas que la toile s'embrase à une vitesse ahurissante.

La démocratie, c'est effectivement une chose magnifique. Qu'est-ce qu'une chose ? D'accord, pas trop de philosophie. Reste qu'une chose, c'est imaginaire, c'est symbolique. En l'occurrence, la démocratie, ça frôle l'utopie. Ah ! À tout le moins, n'est-il pas un dicton qui affirme que l'idéal est comme les étoiles, en ce sens qu'il ne peut pas être atteint, mais qu'il faut quand même s'en servir comme guide ? La démocratie est un idéal, soit. Mais en ce moment, le ciel regorge de nuages et les étoiles se font silencieuses.

Il y a un gouffre important, au Québec, à l'heure actuelle, entre la démocratie utopique qui devrait nous faire rêver, nous enthousiasmer, dont on devrait sans relâche tâcher de s'approcher, et celle qui est réelle, qui ne mérite plus ce nom.

Au diable les opinions politiques. Personne ici, entre vous, Xavier Dolan, et moi, n'est stipendié. Le Parti Libéral du Québec est suprêmement vil. Qu'est-ce, sinon, que se faire du capital politique sur une crise inventée de toutes pièces ? Qu'est-ce que la loi 78 ? Qu'est-ce que cautionner la violence des policiers, et faire des étudiants de faux terroristes, ET PAR LE FAIT MÊME, tenter de disqualifier massivement les autres partis politiques (qui portaient le carré rouge, symbole dont ses adversaires ont lâchement transformé le message) ?

Et quoi encore ? Comme le dit Dolan, le PLQ nous darde ses sophismes comme un lanceur de couteaux.

La politique, ultimement, devrait être «candide» ; il ne devrait pas y avoir de stratégies de manipulation. Tout devrait se jouer dans les idées. « Voici notre bilan, voici ce que l'on veut accomplir à présent. N'oubliez pas de voter pour nous ! »

Je sais, je vous semble sans doute être indécrottablement idéaliste. C'est vrai ; mais parfois, des éclairs de cynisme traversent mon esprit : comme lorsque je suis capable d'admettre qu'un peuple n'a pas l'intellect très aiguisé par rapport à certaines questions.

Il ne devrait jamais être question de guerre médiatique, ou de stratégies malicieuses. Une bouffée de mensonges emboucane la pièce.

Dolan ne questionne pas la liberté d'expression, il ne questionne pas la légitimité des opinions de chacun. Il tente simplement de signaler à autrui que les choses ne sont pas faites dans les règles de l'art, et qu'il y a un tricheur à table. L'imbécile n'est pas celui qui prend part au jeu de société en suivant les règles, c'est celui qui ne voit pas que le joueur à côté tripote les règles à sa guise, (presque) au vu et au su de tous.

Car s'il est possible d'avoir une réflexion au sujet de la politique, on peut avoir, également, une réflexion out of the box, et regarder cette étrange dynamique avec recul. Après tout, Dolan serait peut-être mieux d'être exclu, en effet, de cet univers, si tant est que cela lui permette d'avoir une perspective fraîche sur la chose. Peut-être pas fraîche, car nombreux sont ceux qui pensent comme lui, mais réaliste. Il y a des imbéciles. Et il est terrible lorsqu'on les ensemence de mensonges.

Le peuple, parfois, a besoin de l'aiguillon de la vérité. L'imbécillité n'est pas toujours incurable.


Je vous souhaite une bonne journée.

6 commentaires:

  1. Bien envoyé. Ton optimisme et ton idéalisme feront sourire, mais c'est plaisant de constater qu'il en existe encore.

    On voit bien que tu n'es pas un commentateur de la politique telle qu'on la commente habituellement. Et c'est ainsi qu'on doit percevoir ce texte.

    «Une bouffée de mensonges emboucane la pièce.»
    Ça, c'est de toute beauté.

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  2. Et si les étudiants n’avaient tout simplement pas réussi à convaincre une majorité d’honnêtes citoyens que l’accessibilité aux études n’est pas strictement corrélative aux frais de scolarité? Et si les électeurs libéraux étaient des individus bien informés adhérant à une philosophie politique moins socialiste que celle qui est prônée par la rue? Et si une majorité silencieuse craignait d’être outrepassée par une minorité bruyante?

    Le problème avec la position de Xavier Dolan – et avec votre défense de celle-ci – est d’être tellement convaincu que son opinion est juste, d’être si profondément confiant que son esprit a saisi l’ensemble des implications de la justice, qu’il croit que ceux qui s’y opposent sont forcément malhonnêtes ou imbéciles.

    PS : Je ne suis pas un électeur libéral, et je suis opposé à la hausse des frais de scolarité. Cependant, j’ai des amis que j’estime honnêtes et intelligents qui votent pour le PLQ. Je crois simplement que l’arrogance est toujours déplorable.

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  3. @Alexandre : Oui, idéaliste, cette grande tare lumineuse...

    @Sylvain : C'est une perspective intéressante, je le reconnais. Mais n'est-ce pas dans la nature des choses, dans un débat, de proclamer que l'on a raison ? Sinon, pourquoi y aurait-il un débat ? Je pense qu'il y a suffisamment de suffisance du côté des verts, de Jean Charest et cie pour que les rouges aussi s'en permettent ! Je mets pour ma part, tout au plus, un peu de sel sur mes propos...

    Grand fauve, je n'ai jamais compris la politique. Je ne comprends pas comment on peut disserter sur des tas de fiente aux formes variées, aux grandeurs différentes et aux odeurs multiples. Et on semble apprécier!

    J'en ai contre la politique en général. Je suis, avant toute chose, un adepte de la logique, de l'organisation. Les gestionnaires qui guident notre pays sont les pires abominables inconscients furieux qu'il m'a été donné de voir.

    Je suis davantage un disséqueur de moralités malsaines, d'intelligences putrescentes. Je ne me laisse pas prendre dans le réseau de mensonges que certains ourdissent.

    Je n'ai pas une pensée binaire. Pour, contre... Oui, non... Tout ce que je vois, c'est une bande de gestionnaires aux facultés intellectuelles minimales qui dicte ses sornettes à un peuple. J'aime l'analogie suivante, en outre. Supposons que deux parents exigent de leur fils une pension, afin que celui-ci puisse vivre chez eux. Supposons que ces parents ne tiennent pas un budget, et qu'ils lancent leur argent par les fenêtres. Puis, un jour, ils augmentent brutalement la pension de leur fils. Bien sûr, c'est dans leur droit. Mais leur progéniture, elle, n'a-t-elle pas le droit d'être profondément choquée, sachant ce que ses parents font de l'argent?...

    Moi, c'est pourquoi je suis contre Jean Charest et sa clique de décérébrés aboyant dans l'orbe d'un pseudo-chef.

    Je n'ai pas de parti pris. Si c'était Pauline qui se comportait ainsi, je la pourfendrais avec la même joie placide. Si c'était Khadir qui commettait des bévues pécuniaires et morales, j'en ferais de même.

    Vous m'avez posé des questions. Je peux vous en poser à mon tour, pêle-mêle. Se peut-il qu'il s'agisse plus que d'une crise étudiante, par exemple du soulèvement d'un peuple ? Se pourrait-il que parfois des joueurs doivent être disqualifiés ? Se peut-il que la majorité silencieuse ne soit pas entièrement bien informée, parce qu'on manipule les données ?

    On peut en effet être malhonnête, imbécile, ou, il faut le préciser, inconscient. Cependant, il ne faut pas être trop à fleur de peau en entendant l'expression imbécile, dans la mesure où l'imbécillité qui se reconnaît évolue éventuellement vers l'intelligence. Au reste je pense que dans le contexte où Dolan employait ce mot, il était synonyme d'inconscience.

    Je crois, à tout prendre, que ce qui m'agace le plus, c'est l'incapacité qu'ont certains à voir le portrait dans l'ensemble. Je ne discute pas avec les gens aux idées fragmentées. Par exemple, pourquoi analyser le seul enjeu économique des études, quand cette question même s'engloutit dans la question plus vaste de notre économie nationale, qui est fâcheusement prodigue à certains niveaux ? Pourquoi seulement voir du « bruit » là où il y a une étincelle de révolution ? Pourquoi tout bonnement observer les différents partis politiques, un index songeur sur la bouche, comme on regarde les menus dans un McDo ? « Si on me donne la possibilité de faire un choix, c'est que tous les choix sont bons... » : et si, le malfrat ayant été grillé, des choix n'étaient plus même envisageables ?

    Je n'ai pas d'amis votant pour le PLQ, et espère ne pas en avoir. Cela dit, on ne fait jamais assez de ménage en amitié.

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  4. «Je crois que tenter de pratiquer l'ostracisme par rapport à un artiste, lui refusant le droit au monde de la pensée politique et de la discussion à saveur sociale, est une piètre et subreptice tentative d'invalider ses arguments.»

    Bel essai, mais vous n'avez pas lu le texte de Duhaime comme du monde.
    Il ne lui reproche pas de s'exprimer, il lui reproche de s'exprimer de façon méprisante et insultante. Nuance importante.

    Le PLQ est un parti pour lequel j'ai très peu de sympathie, mais j'ai eu la chance d'avoir des parents qui m'ont inculqué le respect des autres. Traiter les électeurs du PLQ d'imbéciles est non seulement petit, mais aussi délétère pour une démocratie de dialogue.

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  5. @Heidy

    Je n'ai pas lu le texte de ce Monsieur (je préfère « ce Monsieur » à « Duhaime », car conférer un quelconque crédit à cet amateur ayant dégobillé ce torchon... je laisse ça aux gens sans imagination) comme du monde, dans la mesure où je suis non point du monde, mais un individu doté d'idées qui lui sont propres, contrairement à ceux qui récitent sans réfléchir ce que leurs parents leur ont appris. «Il apparaît en effet que les masses ont tort, et les individus toujours raison.», écrivait l'un de mes romanciers préférés. Succulent petit détournement langagier pour souligner l'aspect trivial de votre reproche, quand il crève les yeux que j'ai lu la lettre du Monsieur à un degré qui visiblement vous dépasse.

    Or, cette citation que vous coincez entre les crochets de vos dents, voici ce qu'elle signifie : ce chroniqueur, n'ayant visiblement aucun argument, tentait, par un procédé aussi banal qu'inefficace, de discréditer la nature même de son interlocuteur en visant sa carrière. Est-ce si difficile de cerner les intentions psychologiques d'un auteur ? Relisez donc son texte. Je vous parle d'une manoeuvre psychologique fourbe. Il n'y a donc aucune nuance à cet égard. Il fait usage, en plus, de deux ou trois broutilles lui faisant office d'arguments. Il a mis la table, et ensuite il lui a servi sa plus céleste soupe de venin.

    Et vous, madame, qui êtes adepte du premier degré comme ce chroniqueur, vous voyez quelque chose de « méprisant et insultant » en ce qu'a dit Dolan. C'est drôle, ça ne m'avait jamais traversé l'esprit, quand j'avais lu la chronique de ce jeune cinéaste. Comme je l'ai dit dans un commentaire précédent : « Au reste je pense que dans le contexte où Dolan employait ce mot, il était synonyme d'inconscience. »

    Saviez-vous, madame, qu'il est une façon ô combien plus vile et plus vache d'insulter et mépriser une personne ? C'est en déformant ses propos. C'est en lui prêtant des intentions qui ne sont pas siennes. C'est en salissant son nom publiquement. Est-ce que cela vous sonne une cloche, une toute petite ?

    Si mes parents ne m'ont pas précisément insufflé le respect, ils m'ont en revanche légué un cerveau.

    Je ne sais pas si vous êtes délibérément sophiste, mais vous passez tout à fait à côté de mon propos. Vous me parlez de partis politiques, de l'importance de respecter chaque parti, de prendre part gaiement et servilement à la grande messe divine de la démocratie, etc. Ce n'est pas du tout ce dont je parlais. Vous, vous lisez définitivement «comme du monde», c'est-à-dire de façon tout à fait moyenne. Je suis un badaud. J'observe le jeu se dérouler. Les règles, je ne les critique pas. Je vois que certains joueurs trichent, et je les dénonce — c'est tout.

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  6. Discutailler au sujet de substance ironiquement si creuse, ce n'est pas ma tasse de thé. Pour éviter d'avoir à composer davantage avec des détracteurs s'en prenant à vrai dire à leur propre incompréhension, en rapport à un propos qui ne leur est pas familier, je coupe les commentaires. Pas tant que je n'aime pas discuter. Je n'aime pas ce qui est superfétatoire. Il y a une limite à réaffirmer le même insipide angle de pensée, insipide parce qu'il est hors de la question. Je ne remets pas en doute la démocratie, je remets en question un de ses joueurs, au moins. Fermons le rideau. Sinon, je serais forcé de répéter sans cesse les mêmes choses, à quelques élans poétiques près...

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