jeudi 5 décembre 2024

Merci pour le Goncourt – mais je ne suis pas un homme qu'on soudoie si facilement, papillons !

Je vais gagner le prix Goncourt. Avec mon premier roman. Tremblante aspiration. Douce sottise de l'écrire. Je n'ai jamais aimé les prix. Je n'aime pas le Goncourt. Je le respecte et le méprise. Je vais gagner le Goncourt. Il va faire de moi un homme. Je vais en faire ma femme. Ils voudront me remettre le prix Goncourt du premier roman ; télépathiquement, je leur ferai savoir la chose suivante : non. Je vais gagner le prix Goncourt. Le prix Goncourt m'a gagné. Il y en a eu des pas mal, alors ça oui. J'ai aimé La plus secrète mémoire des hommes, cette éblouissante manifestation de génie tressée de fulgurance technique. J'aime Leïla Slimani, mais c'est une autre paire de manches. Une autre paire de hanches. J'aurais aimé aimer la... Saviez-vous que, sur Wikipédia (c'est très littéraire d'inclure des références à la réalité dans ses écrits), dans la petite boîte bleu #7DA7D9 au-dessus de la photo d'Edmond de Goncourt, il est écrit « Monsieur Moustache » Je partage, au cas où quelqu'un se charge de remédier à ce vandalisme innocent. Alors je vais gagner le Goncourt. Mais ce n'était pas mon point, pas celui que je traquais, je poursuivais. Tiens, un exercice littéraire, à la Georges Perec, je vais écrire une phrase qui n'inclut pas : Je vais gagner le Goncourt. Alors voici : allô les copains, je vais gagner. C'est raté. Vous voyez. Je ne suis pas assez scrupulateur pour gagner le haut pavé de l'érudition appliquée de Perec, mais je le suis assez, au ras du sol, avec les famines et les chiens (ça, ça vient d'un de mes poèmes, mais ça s'insérait bien ici) pour remporter, pour ravir, une règle de trois, hihi, pour quoi, je ne sais pas, révolutionner le Gonc'. On va l'appeler comme ça, le Gonc'. Eh ! Maintenant qu'il est à moi, je l'appelle comme je veux, d'accord ? Alors ce point, qu'on traquait. C'est tout à fait irrésistible et sublime, un point qu'on traque. Mon point, le voilà qui montre sa courbure dans le ciel laiteux, c'est que j'aurais aimé aimer la liste entière des récipiendaires du Goncourt, de 1903 à 2024, mais je les lirai plus tard, à ma retraite, quand je serai à l'Académie française (mon projet est de boire des matcha latte hebdomadairement, à tout le moins, avec Dandy Laferrière, mon farfelu maître cosmique). Bon. Alors ! Ce ciel laiteux ! Ce matcha ! Cette irrésistible farce sublime ! Oui. J'aimerais donc être en mesure de comprendre la logique séquentielle, inouïe et légèrement quantique (dans son saut) qui aura conduit l'Académie Gonc' à me décerner son prix. Vous savez, moi, je n'en ai rien à cirer, même si je vais pleurer, sur le même petit balcon que Mohamed Mbougar Sarr. C'est Jésus qui le veut, de concours avec Jeanne. Moi je vais accepter passivement mon destin. Je pense qu'un prix, à tout prendre, c'est un peu le même principe que la caverne de Platon. On pense que c'est un éclat, un soleil, une fournaise nucléaire. C'est plutôt, vous savez, une ombre. La vraie fête, elle est dans la caverne. C'est là qu'on écrit. C'est là que tout se déroule. Un prix, c'est une ombre. Ne vous y trompez pas. Ceux qui se réjouissent des prix, en vérité, c'est qu'ils n'ont pas assez bossé dans les cavernes. Un écrivain est un troglodyte, qu'on se le dise. S'il vous dit l'inverse, c'est qu'il est un chien, une veuve, une protubérance. Mais un écrivain, dans le dessein de socialiser, et dans le désir de pérennité de son œuvre, doit quelquefois sortir de son antre. Alors on le décore d'une ombre. Le Goncourt est une ombre avec laquelle je saurais batailler, dont je saurais m'accommoder. Et je ne dirai pas : merci de m'avoir photographié, merci de m'avoir aimé, merci de m'avoir vu. Je dirai : merci aux quelques curieux qui, ayant compris l'allégorie susdite, font les quelques pas supplémentaires et requis pour regarder dans ma caverne. C'est ça, un prix. Et c'est pour ça que je l'accepte, finalement, votre Goncourt.

2 commentaires:

  1. Plus de ces envolées littéraires, s'il-vous-plaît ! Un club de lecture très sélect avec Lafferière et les lauréat.e.s du Goncourt,autour de matchas et de pâtisseries, cela me semble parfait! Ps: La mention de "Monsieur Moustache " est exacte ! Je serai déçue, tout de même, lorsqu'elle sera retirée !

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  2. Je suis heureux que cet exercice du cœur,
    Littéraire en partie, prophétique au surplus,
    Avec ce qu'il a de gamin et de meilleur,
    Tout en te décoiffant, t'ait visiblement plu ;

    Décoiffer les dames, quelle idée qui écœure,
    Je te prêterai un petit bob farfelu,
    Pour qu'aux cafés gourmands pleins de croissants au beurre,
    Parmi ce club, tu n'en perdes pas tes lulus.

    Et tu verras que toi aussi, les envolées,
    Tu les maîtrises, tu ne les as pas volées !
    Va, va, voler sur les ailes d'une moustache ;

    Ne diront-ils point, si je gagne ce Goncourt,
    Cornegidouille ! il a su : comment ? par quel flash ?
    Ou je les aurai fait rire, si je me goure.

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