vendredi 27 octobre 2023

Courriel à un ± jeune poète

de: Robert Allegrius <rob@editionsxxxxxx.com>
à: "Guillaume C. Lajeunesse" <xxxxxxxxxxxxxxxxxxxx@xxxxx.xx>
date: 27 oct. 2023 14 h 04
objet: Re: Manuscrit
envoyé par: editionsxxxxxx.com

Cher Monsieur Lejeune,

J'ai lu votre recueil de poésie … … avec attention, intérêt et, pour tout dire, dans un état d'extase qui me comprima la poitrine.

Vous avez soumis, par inadvertance sans doute, votre recueil à un éditeur qui ne publie plus de poésie, mais à présent des livres de cuisine.

J'ai pris la latitude, vous m'excuserez je l'espère, d'amener avec moi votre manuscrit à un souper mensuel de femmes et d'hommes de lettres, parmi lesquels on retrouvait des éditeurs comme j'en fus un jadis, c.-à-d. de littérature. Entre une bouchée de mon bœuf braisé et une gorgée de rosé, nous nous sommes plongés dans vos vers.

L'avis général fut que vous êtes un véritable poète, comme on n'en voit pas souvent, une affaire de générations. Votre poésie est originale et prenante et croyez-moi, un frisson nous a parcourus à la lecture de certains de vos poèmes.

Et avec ces éloges, j'imagine que vous me voyez venir.

À notre époque, on ne publie plus de poètes, sauf exception.

On préfère aux poètes : les personnalités, les farceurs, les gens qui ont des causes, les diplômés en lettres.

La poésie ≠ la poésie

Vous avez pris cette forme d'expression au pied de la lettre. Haha, excusez-moi le jeu de mots. À notre époque, nous vivons dans la représentation de la poésie, c'est-à-dire dans l'idée qu'on s'en fait, dans le folklore en périphérie de celle-ci, plus que dans la poésie elle-même. Nous avons pris l'habitude de nous réchauffer avec de la fumée plutôt que du feu.

Vous avez une chose que peu de gens possèdent : le talent. Mais le talent est méprisable.

Les éditeurs publient pour deux raisons. Pour faire de l'argent. Et pour mettre un peu de lustre sur leur narcissisme. Surtout lorsqu'ils se publient eux-mêmes, la profession voyant naître de plus en plus d'éditeurs / écrivains.

Avec votre poésie poétique, vous ne rapporterez pas d'argent (presque aucune poésie ne le fait, à moins d'être absolument mauvaise)

Vous n'êtes pas assez vaniteux ou poseur, voilà votre problème. De cette manière, au moins, vous pourriez vendre plus d'exemplaires, attirer les regards sur votre maison d'édition.

Même si je publiais encore de la littérature, pour cette raison, je ne pourrais pas vous publier.

Avez-vous essayé le roman ? Même si votre plume écorcherait l'amour-propre des diplômés en lettres devenus éditeurs, au moins, on verrait un signe de dollar vert et diaphane flotter au-dessus de votre tête.

En espérant recevoir un autre de vos manuscrits accidentellement, Monsieur Lejeune. Le cas échéant, je l'éplucherai, et le conserverai comme dessert à l'occasion d'un de mes soupers littéraires.

Robert Allegrius,

Ex-poète
Ex-professeur de lettres
Éditeur de livres de cuisine

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