jeudi 20 octobre 2016

C'est trop de toute beauté ; je partage...

Voici ce qu'elle a publié sur Facebook :

À Monique Giroux, en réponse à votre texte du 18 octobre 2016.
Je me permets de vous répondre parce que je vous aime bien et que ce texte m'a déçue.
Je le dédie à tous les artistes qui suivront et à qui les adultes diront : «Non, pas comme ça…»
J'ai toujours trouvé déprimant le regard de l'adulte sur le «jeune». Le jeune ne doit pas décevoir: il doit se conformer à ce que l'on s'attend qu'il soit, il doit s'habiller comme un jeune et parler comme un jeune. L'adulte trouve que le jeune est rafraîchissant parce qu'il est rempli de nouvelles idées, on le trouve idéaliste, rêveur, il nous rappelle nous-même par le passé. On aime l'idée qu'on se fait du jeune jusqu'à ce qu'il entre dans notre réalité d'adulte. Là, on le trouve trop ou pas assez. On l'aimait plus lorsqu'il n'avait pas encore l'âge de déranger. On l'aimait de loin, dans notre conception de la jeunesse.
Le jeune artiste doit lui aussi correspondre à tout ce que l'adulte a connu par le passé. Il doit suivre la ligne que ses prédécesseurs ont défrichée pour lui, non sans effort, non sans embûches. Le jeune artiste célèbre et admire d'ailleurs les Félix Leclerc, Robert Charlebois, Diane Dufresne (pour ne nommer que ceux-là), qui l’ont annoncé et qui ont en quelque sorte contribué à le libérer en tant que Québécois francophone.
J'aime le Québec, j'aime ses artistes autant que ses arbres et que ses rivières. J'aime aussi parfois regarder Gilles Vigneault le défendre si bien que ses mots en deviennent presque des prières, qui me rendent, l'instant d'une phrase magnifique, adepte de cette religion nationaliste. Ses mots sont beaux et ils me rendent fière. J'aimerais être capable de soulever une foule entière en faisant naître une irruption de bonheur semblable en eux.
Mais je ne pourrai jamais arriver à le faire parce que je ne suis pas Gilles Vigneault. Je suis Klô Pelgag. La timide extravagante qui écrit des chansons de douleur tout en rythmes, déguisée en fruit. Celle qui tient à son accent circonflexe comme à une fioriture dorée que personne n'aurait remarqué sur la toile la plus petite de l'exposition au Musée des beaux-arts (j'aime les détails): je ne peux être que moi-même.
Cet accent circonflexe, je le dois à Raôul Duguay. Raôul Duguay ne le sait pas et il s'en fout peut-être mais lui et plusieurs de ses semblables m'ont sauvé la vie à une certaine époque, et ils continuent de le faire encore aujourd'hui. À cette époque où je voyais le monde comme une ligne continue sur laquelle semblait se reposer un seul et unique discours avec lequel tout le monde était d'accord (celui de la télévision), j'avais l'impression que les couleurs étaient toutes les mêmes, que les chansons étaient toutes les mêmes (la radio dans l'autobus scolaire) et que nous portions tous le même nom (Stéphanie, Bobby, Keven, Gabrielle). Je me sentais si seule, si maladroite, si stupide et j'ai tellement souhaité secrètement devenir comme tout le monde autour de moi. Me fondre émotivement dans la masse et cesser de me sentir comme un ovni, à cacher ma pensée de peur que d'une phrase, on m'enlève le droit d'exister.

Puis j'ai découvert ces artistes et ces groupes... Frank Zappa, Gentle Giant, King Crimson, Björk… Et plus près de notre époque: Jean Leloup, Pierre Lapointe, Fred Fortin… Puis j'ai découvert l'espace infini de la poésie, de la littérature et de la peinture qui me semblaient alors venir d'une autre dimension: Claude Gauvreau, Ionesco, Réjean Ducharme, Boris Vian, André Breton... Et enfin j'ai compris que le monde n'était pas aussi limité que ce qu’on m’avait fait croire. Que la vie pouvait devenir «épormyable», extraordinaire, imprévisible dans la manière dont on la partage.
J'ai commencé à vivre à partir de ce moment-là et j'ai commencé à comprendre et à assumer la personne que j'ai toujours été. Je me suis dit que l'objectif de l'ensemble de ma vie serait d'accéder au bonheur et si possibilité il y a, d'y amener les autres avec moi. D'être utile par le coeur. De ne jamais avoir honte de moi, de mes idées et surtout: de rester intègre. Ce qui n'est pas toujours évident à cette époque où la vie nous dévore plutôt que le contraire. En même temps, je n'ai pas connu les autres époques, ça a peut-être toujours été comme ça.
Il ne s'agit ici que de mon histoire à moi. Vous n'imaginez pas la multitude de gens qui ont de la difficulté à être heureux parce qu'on leur répète sans cesse dans les médias qu'ils ne sont pas 'correct'. Parce qu'on associe «différence» à «bizarrerie» et à tout ces mots qui vous discréditent automatiquement en poussant vos opinions sur le côté du revers de la main. Vous n'imaginez pas la quantité de gens que ce discours, que certains semblent trouver insipide et ridicule, a interpellé ce soir d'ADISQ en 2013. Vous ne soupçonnez pas l'effet que provoque un élan de liberté sur les gens. Le réconfort que cela amène. Je me suis moi-même accrochée à ces petits espoirs parce qu'effectivement, ma vie en dépendait. J'en conviens, elle est déstabilisante la vérité, surtout lorsqu'elle est livrée en mots maladroits, mais c'est là que je trouve qu'elle est la plus belle. Lorsque l'émotion rend vulnérable comme à un premier 'je t'aime'.
Je suis émue par les silences, les hésitations, les bredouillements. Je suis moins émue par la recette du discours en bonne et due forme parce qu'il donne selon moi beaucoup moins accès au coeur, je suis comme ça. Tentez de vous rappeler que nous sommes musiciens, auteurs-compositeurs-interprètes de chansons. Jugez-nous là-dessus si le contenu vous intéresse vraiment. C'est dans nos chansons que vous devez nous écouter.
Je pose ces mots ici en toute humilité. Je ne prétends pas qu'un jour dans ma vie j'arriverai nécessairement à accéder à l'extraordinaire, mais j'ose espérer que je ne me plierai jamais à suivre une ligne de conduite pour faire plaisir au plus grand nombre ou aux médias en les enveloppant dans une citation éblouissante tout droit sortie de l'esprit d'un autre.
Oui, nous nous devons d'être respectueux. Mais qu'est-ce que c'est que le respect au juste si ce n'est pas d’abord se respecter soi-même?
Alors s'il-vous-plaît, chers amis-confrères-amours-artistes, le 30 octobre prochain: mettez le feu. La vie est déjà tellement triste à bien des égards que je ne crois pas qu'elle devrait le demeurer jusque dans l'Art. Résistez à cet appel à la réglementation du discours qui provient de notre ère javellisante, aseptisante et qui ne ressemble en rien au Québec que j'aime et à l'art qu'il mérite.
Amoureusement, onctueusement et respectueusement,
Klô Pelgag

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