vendredi 11 janvier 2013

Aucun rapport, mais ça me rappelle les Exercices de style, de Queneau


Un jeune homme admirait distraitement, pour ainsi amener la chose, une jeune femme dans l'autobus. Cela n'avait rien d'extraordinaire : son seul mode d'observation était la contemplation.

— VOUS ALLEZ BIEN CESSER DE ME REGARDER, OUI !
— Non, dit posément l'homme.

Des balles de fusil, d'un assez gros calibre, se mettaient à voyager dans le sang de la jeune femme, qui semblait désorientée autant qu'irritée. Elle lèverait éventuellement le coude, qui n'en était pas un, et, assurément, les balles en sortiraient dans une décharge fulgurante.

— Il faut m'excuser, dit posément le jeune homme. C'est une déformation professionnelle...
— Oh !... lança-t-elle, toujours contrariée. Que faites-vous dans la vie ? Vous êtes arbitre au tennis ?
— Vous n'avez pas l'air d'une balle jaune, dit l'impudent dans un grincement ricaneur.
— Que faites-vous, alors ?
— Je suis poète.
— Quel est le rapport ?
— Le poète admire la beauté en ce monde. Et...
— Vous tentez de me séduire ? dit-elle, infinitésimalement attendrie.
— ... et il se délecte aussi de la laideur. Cela lui importe peu, vous savez.
— QUOI ? QU'EST-CE QUE VOUS DITES ?
— Je vous aime.

8 commentaires:

  1. Vécu récemment, Monsieur? ( les balles en moins? ) :-)

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  2. Well, ouèlle, well... J'observe beaucoup les gens. Je me demande comment ça se fait que ça ne les rende pas davantage mal à l'aise. C'est fictif, bien sûr. Je m'étais interrogé sur l'issue d'une telle confrontation.

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  3. :-) Moi, je dessine autrui, ou distribue de colorés sourires. Tout est dans l'intention! Le cœur sait la capter! :-) Donc, pas de confrontation si l'intention est belle!

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  4. Sublime nouvelle, aussi épurée, électrique et intéressante qu'une partie de tennis de grand chelem qui rime avec "aime". Le thème du regard est très important et cette paronymie fort révélatrice entre vie et vue! Il y a eu tant de meurtres à causes d'un simple regard! C'est vraiment dingue!

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  5. Tu nous parles d'un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. Révolu. En allé. Les jeunes femmes dans l'autobus en 2013 composent un numéro sur leur smartphone, puis un second si le premier ne répond pas, puis trois, parfois quatre avant d'avoir une copine au bout du sans-fil: un manège dont je ne nie pas qu'il soit fascinant à observer, sauf que les intéressées seront rares à s'en irriter, ne serait-ce que parce qu'elles ne s'en rendront pas compte. Sont occupées à parler. Ta contemplation doit s'accomoder d'entendre aussi leur son et les âneries qu'elles débitent, avec en prime les répliques inaudibles de l'autre conne au téléphone que tu ne pourras éviter de déduire. Tu vas savoir comment sa journée a été, quelle nouvelle misère son superviseur lui a infligée, ce qu'a dit son dermatologue hier après l'avoir examinée, tu vas savoir ce qu'elle songe à cuisiner pour le souper, ceci ou cela entre les deux son coeur balance, soit la lasagne de sa mère dans le congélateur, soit un Pad Thai au poulet, ça lui tente de manger épicé, et puis...

    Rendues là, les interlocutrices semblent généralement trouver qu'elles se sont assez parlé, environ dix minutes: elles se disent bye et à demain et elles raccrochent.

    C'est l'instant pour toi de compter en silence jusqu'à soixante. Tu ne te rendras pas jusque là avant qu'elle recompose un numéro. Et tu vas tout réentendre à nouveau, mot pour mot, le bureau, le salaud, le dermato, le dilemme culinaire!

    Ces jeunes femmes qui trouvent naturel de vocaliser leur vie privée au bénéfice de tous les passagers d'un autobus ne sont guère susceptibles de s'offusquer qu'on les regarde. Faudrait plus que ça. Pour qu'un poète en 2013 obtienne une réaction, retienne l'attention, le full minimum serait, genre, de se lever, d'aller vers elle, d'y ôter calmement et fermement le cellphone de la main, de se diriger à pas mesurés vers la sortie arrière tandis que l'autobus arrive à l'arrêt, d'activer l'ouverture des portières et de calicer la putain de patente au bout de son bras dans la nature, de préférence un banc de neige.

    C'est toujours ben pas pour ça que Bell a inventé le téléphone! M'ennuie déjà d'il y a cinq ans, quand les jeunes femmes en autobus lisaient Marie Laberge ou Raphaëlle Germain ek des écouteurs d'IPod plogués creux dins oreilles. Connes, mais discrètes. Un temps révolu. En allé.

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  6. Evidemment, je ne fais plus partie de ce qu'on nomme jeunes femmes, non que je le regrette, l'âge a certains avantage mais il faut être poète pour qu'alors un regard se pose sur vous dans l'autobus... Et...les poètes sont rares.
    Plus jeunes déjà, je trouvais qu'il n'y en avait pas tant que ça, des hommes capables de voir au-delà! Ou alors il ne faisait pas le même trajet que moi. Quoique je ne me serais pas permise je crois d'agresser de la sorte un regard de velours. Il me semble quand même qu'on sent la différence entre une observation certes appuyée et un regard gourmand plus animal, moins inspiré.

    Je souris au commentaire de Christian que je ne peux que rejoindre. Les portables dans les transports en commun sont insupportables. Je repense à un vécu il y a peu dans le train Lille-paris, cette fois ça n'était pas une jeune femme mais un jeune homme plutôt beau garçon je dois dire qui, installé quelques rangées au-dessus de moi nous a fait cadeau de sa magnifique vie: la dernière gonze qu'il s'était faite, le dernier match à la télé: Lens avait encore déconné, un ramassis de propos orduriers sur Pôle Emploi qui ne comprenait pas le boulot qu'il rêve de faire, je n'ai pas compris quoi, et puis sa mère, alors là, on y a eu droit pendant plus d'un quart d'heure, Bon Dieu sa mère, faite-le taire!! Au bout de deux minutes déjà, je voulais l'étrangler! J'ai pas eu le loisir de le voir dans les yeux celui-là. mais le regard de mon voisin d'en face était un ravissement. Et sa capacité à se retenir d'aller clouer le bec de cet énergumène sans-gêne tout à fait étonnante. D'ailleurs, j'ai tenté une complicité pensant bien faire, juste avec les yeux, bien sûr! j'ai reçu une fin de non-recevoir, un vrai camouflet. Il a changé de compartiment! En attendant, moi qui ne suis pas poétesse et non pour attirer son attention, j'aurais bien calicer la putain de patente de ce gars là dans les toilettes, juste pour pouvoir rêvasser à l'aise!

    N'empêche que du coup, ton petit texte fort brillant, me rappelle un regard brûlant dans le tramway. Je devais avoir quinze ans, il montait vers le Nord, je descendais vers le midi... C'est fou. je m'en souviens avec une netteté déconcertante. ( J'avais à l'époque un livre de Nietszche à la main!) Il était grand, les cheveux fougueux, une dégaine d'artiste et une regard magnifiquement bleu. je sentais depuis un moment la caresse de ses yeux, mais tu penses, je n'osais pas briser le charme. Je me faisais déjà tout un scénario, que c'était lui, que c'était moi, etcetera, toujours été une indécrottable romantiquidéaliste et puis la pression a été trop forte, la curiosité et le besoin de me confronter à la réalité. On s'est regardé, quoi, quelques secondes, et il est descendu du tramway. mes jambes n'ont pas voulu bouger mais en réalité mon esprit, oui. C'était juste parfait. Encore dans ma tête aujourd'hui! Une de mes petites ancres positives...

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  7. @Helena Cela m'explique pourquoi je n'ai jamais reçu de gifle ! Tu m'encourages même à continuer.

    Je vous relate une anecdote. Je crois que vous avez tous saisi le pattern : je ne peux pas m'empêcher d'observer les jolies femmes, les artistes, les marginales gaiement attifées, etc. Comme tu l'as souligné, ce n'est jamais un regard insistant, mes yeux paisibles sont fort curieux d'abord et avant tout. Parfois, la femme ne s'en rend pas compte. En d'autres occasions, un doux regard m'est rendu, ce qui est toujours agréable.

    J'ai le souvenir d'un tel scénario, qui a eu une tournure bien particulière. J'entre dans le métro, et il y a là cette jolie blonde. Des belles jeunes femmes aux cheveux ensoleillés, il y en a plein, ça n'a rien d'extraordinaire. Mais il y avait quelque chose d'absurde dans l'instantanéité de mon attirance à son égard. Je me suis même dit, intérieurement, spontanément, ces mots qui ne font aucun sens : « J'ai l'impression qu'elle et moi sommes génétiquement compatibles » — pourquoi diantre ai-je pensé à cela ? Je ne le sais point. La meilleure hypothèse : c'était vrai et ma biologie s'est exclamée dans ma pensée. Toujours est-il qu'elle aussi a dû flairer quelque chose, car elle m'a instantanément souri, de façon timide et, cependant, visiblement allègre. Toutefois, je sentais que cette fille-là, je ne la regarderais pas qu'un peu. Ma position — debout, un bras tenant une barre horizontale, pour l'équilibre, devant elle, qui était assise un peu plus loin — était doublement inconfortable : d'une part, ça me prédisposait à l'observer sans trêve, ce qui aurait été gênant pour elle ; d'autre part, elle était un peu trop loin pour que je puisse lui faire la conversation. Alors je me suis raisonné, je me suis dit : « Elle te trouve charmant, mais ne gâche pas ça en la regardant trop, change d'emplacement. » Ainsi, je suis allé saisir un autre poteau, et je lui ai fait dos. Quelques minutes plus tard, les portes s'ouvrent, je ne me souviens plus c'est quelle station. Je sens une main d'ange toucher, voire caresser mon dos dans un effleurement, comme pour m'avertir de quelque chose. Je tourne la tête à gauche, rien. Je tourne la tête à droite. Je vois la charmante demoiselle, qui s'en va. En quittant le wagon, elle a la tête tournée vers moi, et elle m'offre le plus prodigieux des sourires, sensuel et cosmique. Ah, le métro de Montréal !

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