samedi 5 mai 2012

Nouveau poème en vers

Un cauchemar que je fis

Automate gris, je gavais le cube blanc
De mes frusques. J'étais en un sombre lavoir,
Comme expérimental, muet laboratoire...
Les murs réverbéraient un silence dément.

La buanderie se fondait à un semblant
De dépanneur, triste comme une vide foire.
La fade clarté pelait, souffle sans espoir.
Oléagineux, mon sang globulait gaiement...

La stupeur cloua à mon ventre une vision...
Je me savais soudain possédé !... De laids hommes
Venus souriaient, les yeux chauds comme du rhum.
Ce mensonge en mon coeur subirait excision !

Ces idées n'étaient rien de plus que contusions
Sur la rétine de mon âme !... oh ! oui, la somme
De délires rieurs, et j'étais dans les pommes
Cuites ; mon âme ne portait pas corrosion...

Je voulus confronter les sinistres marottes
Aux cheveux poivre et sel, articulant, fugaces,
Des sourires tranchant sur le bassin de crasse
De leurs faciès. Leurs yeux fuyants étaient litotes.

Ces supposés suppôts couperaient ma garrotte !
Mais derrière un journal ils se cachaient, rapaces
Préférant parfois me darder regard de glace.
Je voulus affronter ces laids sbires sans glottes...

J'allai voir l'un d'eux. Il était passivement
Fou – laissant poindre des mots jamais assumés
Derrière un sourire de pervers allumé –,
Et torturé de grimaces, cruellement.

Je le toisai d'yeux que je savais ardemment
Nocifs pour une âme, pénétrants, embrumés...
En ayant un torve oeil pour ma face cramée,
Il saisit un miroir dans un babillement.

Tout en me fixant droit dans l'iris, il voilait
Peu à peu ses traits faciaux, en hissant la glace :
C'était son corps frêle, mais j'étais à sa place.
Que je me prisse pour lui, c'est ce qu'il voulait...

Morbidement, afin de savourer l'effet,
Il rabaissait l'objet ; je voyais, térébré,
L'uniforme couleur d'une âme enténébrée,
La calme fureur d'un sadique satisfait.

Soudain, je sus lire en sa pensée un reflet :
« Oh, ma langue ! Tant de morsures l'ont zébrée !
En riant de vous, je l'ai hachée en timbré !...
Vous regardez nos coeurs, y cherchez le méfait ! »

Je regardai autour de moi, et les clochards
Avaient proliféré. Tous possédaient un tic
Infernal, manie de fou caractéristique.
Ce lieu était pour sûr sulfureux, trop hagard...

Là, cet homme ! Il cachait ses yeux telle une escarre,
Le bras au visage, proprement magnétique...
Soudé là, son regard était en sabbatique...
S'il devait l'abaisser, il tressaillait braillard...

Je me demandai si cet homme, plus blafard
Qu'un sein qui a perdu ce qu'il a d'érotique,
Était l'incarnation sauvage et symbolique
D'une chose que je fuyais de mon regard ?

Une autre vision me matraqua l'estomac :
Tous ces sinistres vieux n'étaient pas créateurs
D'un enfer tissé à même leurs puanteurs,
D'un terminus âpre où l'on meurt tous en amas...

Non ! Je compris ! Ces yeux creux et fous ! Ce climat !
Cette capilotade de sombres acteurs,
Ce malaise diffus, flasque, en apesanteur,
Il découlait de mon cerveau étrange et mat !

Je m'étais cru cerné, donc, par une mélasse
D'hommes pour mon accueil aux plages de l'enfer ;
Je compris que j'avais marqué mon âme au fer
De l'illusion, le coeur tremblant sur des échasses.

Moi qui les jugeais tous fous !... – et j'étais le seul !
Cette farandole au tortillement complexe
Était en moi. C'était bien mon fruit, ce vortex !
Voilà pourquoi l'homme fit refléter ma gueule...

L'espace enfla, une scène de cinéma
Où les caméras vont à reculons, tremblantes ;
Mon oeil-mère, ma conscience grandissante,
Vit la scène entière, eux, moi, mon trouble karma !

Bien que tout à fait seul à voir ces entités,
J'étais en effet confronté au gueux malin.
Mon âme tremblait d'un picotement vilain...
O ! J'étais là pour te vaincre, Fatalité !

Mon esprit m'envoya valdinguer dans l'humide,
Le noir purgatoire de l'homme qui s'éveille...
Je sentais encore la pluie de dards d'abeilles,
Le frisson malsain de cette escarmouche acide.

Stoïque dans mon lit, nippé de mes draps blancs,
Chassant à peine une brume d'idées sauvages,
Je me flattai d'avoir su rompre l'esclavage,
Une fois de plus, d'un cauchemar démembrant.


P.S. - Je versifie non à la façon des anciens, mais des moins anciens, comme Rainbow.

© Guillaume Lajeunesse 2012

2 commentaires:

  1. Encore cette fois, un récit cauchemardesque à la rude verve, mutant autant d’onirismes en apagogies des tréfonds. Une étrange cadence évoquant l’énigme des nouvelles littéraires, sous format poétique profond, au vocabulaire riche et bien choisi.

    J’ai la nette impression que ce style caractéristique, le tient, se précise et se consolide de fois en fois, et que tu en fais usage à la façon des maestros sinistres, habiles, magistralement fous et pleinement conscients.

    Le résultat est brillant.

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  2. Ton commentaire bien en chair est en soi un poème!

    Thanks for reading, buddy.

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