mercredi 2 novembre 2011

Une ribambelle de rêves

Une ribambelle de rêves — ceux-là vécus durant mes plus récentes heures de sommeil. Ces rêves bien juteux et déjantés, aux écailles follement différentes, sont selon moi de même filiation. Poétiques envolées, au passage, en guise de commentaires (ces jets de lyrisme sont tantôt directement inspirés de ces rêves, tantôt, plutôt, par le fil unificateur que je perçois entre ces songes nocturnes)...

J'étais dans une cabine de toilette, située dans quelque centre commercial je présume. Je venais de pisser. Quoi de plus calme, n'est-ce pas, qu'un tel endroit? J'esquissai un geste visant à prendre du papier de toilette, histoire de me moucher. On m'en empêcha. Je me tournai. C'était un jeune homme, un tantinet plus jeune que moi, d'une stature un brin plus haute que la mienne. J'analysai rapidement sa constitution : filiforme et plutôt musculeux, en tout cas plus que moi. Je voulais bien croire qu'il était élancé, mais comment avait-il pu se frayer un chemin dans la mince ouverture lumineuse?

— Non, pas de ça, mec, avait-il dit en m'empêchant de prendre du papier de toilette.
— Pardon ?
— Allez, sors. J'ai besoin de la toilette. Tu n'as pas le temps pour ça.

Je m'opposai, gentiment. Tentai de faire valoir mon point. Il ne m'écouta pas. Il gonfla son torse, m'incitant à sortir, se croyant plus fort que moi. Je décidai de lui montrer qu'il avait tort. Je lui fis une clé de cou bien sentie, l'immobilisant et l'assommant moralement du même souffle : « Quoi, il ne suffit donc pas d'afficher de la force ? Il faut aussi être fort ? », l'entendis-je penser.

Dans la grange de leur tête, craque alors tout,
La cornée brûle tout comme les névrilèmes...
Les moribonds exilent leurs regards vers vous...
Ils lèchent votre âme comme une absurde crème.

Me voilà qui étais prêt à un autre combat, moral celui-là. J'étais soudainement au travail. Mais l'affrontement espéré n'eut pas lieu. Cette personne qui m'irritait vivement, dans la vie réelle, est parvenue, en rêve, à me faire rire. Ce collègue ne sapait plus mes minutes par l'instillation de sa mauvaise humeur dont il savait emplir l'air, c'étaient soudain les retrouvailles atrocement ricaneuses, les pitreries dont il est maître, et j'avais un sourire indéfectible, mes pommettes étaient des phares rosacés qui flamboyaient ; je lui pardonnais ses quelques bévues d'irritabilité.


Le ciel, soudainement, moussait d'un bleu de fées à l'horizon, cependant que les nuages se dissipaient, lentement, comme des enfants ayant terminé leurs crises de larmes, et retournant jouer. Seules des gouttelettes splendides, repaires rebondis où les très petites choses pouvaient se mirer, demeuraient plaquées aux fenêtres avec ferveur, comme des squeegees romantiques léchant vos pare-brises.

Du reste, j'ai ensuite rêvé le rêve. À l'intérieur de mon onirisme, je me savais en train de rêver. Banal, vous direz. Là où ça diffère par rapport à ce concept que tant de gens expérimentent, c'est qu'une réalité supplémentaire existait. Si je devais me réveiller, en somme, ce serait dans le rêve ordinaire, vous comprenez? Il y avait pour ainsi dire un rêve sous-jacent à mon rêve. Trois poupées de gigogne. Dans la dernière, bref, j'étais dans une sorte de bain, sans eau si je ne m'abuse, où je scrutais le moindre de mes mouvements. Cet univers m'apparaissait bizarrement peu synchronisé, car plutôt que d'être causal, en vérité, il se pliait à mon libre-arbitre. Je savais qu'à chaque instant pourraient apparaître d'atroces visions, mais, me sachant en rêve, je décidai que cela n'arriverait point! J'étais au dernier étage d'une maison fort profondément creusée en terre ; je décidai donc de monter — vers un autre rêve.

L'enfer
C'est l'illustre pensée
De Rimbaud :
« Je me crois en enfer
Donc j'y suis »
Songe-t-on réellement
À se croire au Paradis ?
Qu'y a-t-il
De plus difficile
À s'imaginer reluire
Parmi une contrée 
D'astres ?
Qu'y a-t-il ?
De Plus difficile ?
À imaginer
La Pureté ?
C'est un mauvais
Exercice
Que de croire à
La fatalité
Je fais le choix
Absolu
Et Impératif
Sans encore savoir
Pourquoi,
Mais je fais ce
Choix...
Désormais, sur
Cette Terre,
Je suis au Paradis.

Puis, je fus chez mes parents. Il y avait une ambiance de foire. Au salon, je fus surpris de voir un lion, despotique et flamboyant. Il interagissait beaucoup avec les gens, jouant et décidant d'être menaçant tour à tour. Je n'avais rien à faire de cet animal, bien que d'ordinaire j'aime ces félidés baraqués. Soudain, on m'annonça que c'était mon tour. Mon tour de quoi? D'interagir avec l'animal. Il s'approcha de moi tel un boxeur dominant qui veut asphalter la gueule de l'autre, le sonner au son de la cloche. D'abord, la bête était, comment dire, moyennement douce. Elle ne faisait que m'érafler un peu de ses griffes. « Mais lâche-moi! Je n'ai rien à voir avec toi! » ; elle ne semblait pas parler français. Alors plus j'étais indifférent, et plus je niais son existence, plus le barbare félin infiltrait mon espace vital. Des commentaires confus émanaient de la petite assistance réunie au salon, et je crois que c'est ma mère qui dit : « Ne t'en fais pas, laisse-le faire, ne montre pas que tu as peur » ; le lion s'avança un peu plus, et mit sa gueule aux dents menaçantes autour de ma tête. C'en était assez, je reculai. Le lion et moi nous considérâmes un instant. Puis je décidai d'interchanger les rôles. Avatar du renversement. Je n'avais certes pas le gabarit, le rôle hiérarchique, je n'avais rien, mais je retirai mon chandail, et je décidai de crier. Ce n'était pas une effusion d'effroi. Plutôt, je modulais un cri, le plus sincère de ma vie, qui était en provenance du diaphragme — que je touchais en beuglant. Je montrais à la bête que je pouvais la chasser. Rituel tribal réussi. Le carnivore prit la poudre d'escampette par la porte d'entrée qui était ouverte, faisant rebondir son gros postérieur qui n'avait pas l'habitude de la fuite ; l'animal détalait comme un chat qui a été effrayé par les notes trop graves d'un piano...

Un chaton essayait d'entrer dans un sweat-shirt
C'est bête
C'était trop grand pour lui
Mais c'est pour ça qu'il a réussi
La bête
S'y était fait un nid
Moelleux, spacieux,
Et clos.
Le chaton s'y remémorait
Les tendres caresses
Sans pareilles
Longues lignes sur sa nuque
Chauds souffles dans
Son coeur
Le chat, tout petit,
Se détire en repensant
À tous ces délices
De son maître
Contagieusement
Doux.
Pour tout dire,
C'était un mou
Dimanche,
Et le petit chaton
N'aspirait à 
Rien d'autre
Que dormir.
Ainsi il dormit,
Bercé par 
L'écho réconfortant
Du silence,
Au chaud
Dans son sweat-shirt
Orange.

Détendu, je décidai d'aller au sous-sol, où les choses sont d'ordinaire plus calmes. J'y trouvai d'autres animaux, plus petits, une faune curieuse. Ma soeur me fit remarquer que la famille avait trouvé et adopté une tortue de dimension moyenne, laquelle aurait aimé se nourrir de viande : mais on n'en avait point pour elle. L'animal était saugrenu au possible, car toutes ses écailles pouvaient partiellement se détacher de la carapace, pour devenir une multitude de petites ailes ; c'est ainsi que, sentant une nourriture de substitution intéressante, le reptile blindé pouvait prendre un élan par le vol, pour se l'arroger. N'empêche, elle pestait, cette tortue, car elle aurait préféré un repas viandeux. La dernière chose que je la vis faire? Voler vers un bol de soupe oublié quelque part par mon père, s'emparer d'un craquelin salé qui venait d'y être déposé, et s'enfuir à toutes ailes avec le butin.

Une tortue qui en demeure une, — mais qui transcende sa lenteur. Eurêka!
Si l'homme a su manier le feu, il pourrait certes, un jour, maîtriser le feu dans son âme...

9 commentaires:

  1. Assez rêvé... Je crois que je vais aller déjeuner...

    RépondreSupprimer
  2. Heureux de savoir que tu visites toujours mon blogue Nicole!

    RépondreSupprimer
  3. Magnificence extraordinaire, après avoir chauffé le boulot au charbon rouge, d'avoir la chance de plonger dans cet univers absurde et déjanté. C'est l'équivalent de la rosée pour baume sur une nuit de cauchemars, comme si le soleil levait en pleine ténèbres.

    Quelques mots ont suffit pour me captiver. L'effet même d'une salvia fumé par des poumons d'homme, qui vous transporte dans l'envers du décor à travers une fermeture éclaire quasi magique. Un délicieux désert bien gras et bien lourd, gâteau au fromage bourratif que l'on mange à petites bouchées mais que l'on ne peut s'empêcher de manger jusqu'à la dernière miette.

    Cette façon que tu as d'organiser le délire, de nous débroussailler des jungles de songes, avec la cadence du taï-chi et des vieux chinois du levé du jour, quelle signature sublime.

    Franchement merci de libérer tes flots créatifs ici, de les partager avec nous: que de plaisir que de faire partie de ce lectorat mitraillé d'étoiles. En accord avec la saison presque d'hiver, je te lève ma tuque mon ami (et je la remet aussitôt parce qu'y fait frette quand même).

    RépondreSupprimer
  4. C'est vraiment gentil! Et très encourageant.

    La prose, ce n'était pas ma force. Je commence à m'y sentir de plus en plus à l'aise.

    Heureux par ailleurs de savoir que l'absurde est encore apprécié ; j'ai un fort amour pour ce qui est bariolé et étrange.

    RépondreSupprimer
  5. Voilà tout le génie. C'est là que vois et que je perds mes mots.

    Là se trouve aussi la justice et la dette infinie.

    Moi, je suis encore tout petit, un enfant qui joue au trictrac.

    RépondreSupprimer
  6. Heureux que les angles brusques de ce dédale d'histoire, visiblement, n'aient pas nui à son intelligibilité. J'ose espérer que ce medley poétique biscornu est tout de même chantant...

    Important, de garder un coeur jeune ! Ça, c'est l'idéalisme, l'irrésistible envie de créer des châteaux dans les étoiles.

    Tu parles souvent de justice et de dette infinie. Pourrais-tu m'en dire plus ?

    RépondreSupprimer